• Au carrefour d'une vie
    La canne à la main le béret sur la tête il montait doucement jusqu’à l’auberge.

    Je l’attendais au sommet pour lui ouvrir la porte. Le sourire aux lèvres il m’embrassait sur la joue. Tous les jours il s’asseyait sur le petit banc de la table, près du potager* et réclamait le Nouvelliste*. Il n’était pas installé, que son verre de deux décis de Dôle trônait déjà devant lui.

     

    Ce soir là je terminais mon service lorsqu’il arriva. Je me joignis à lui pour trinquer. Il me raconta sa vie d’antan au village, ses nombreux voyages, ses conquêtes.

     

    La main tremblante, il but doucement une gorgée de vin puis commença.

    Ses voyages l’avaient instruit, il avait grandit et mûrit grâce à eux. Il s’était nourrit de ses rencontres et s’était forgé au fil des paysages.

     

    Il n’avait rien à perdre nulle part, il était libre.

    La liberté le faisait souvent pleurer. Il quittait un lieu cher et des gens qu’il aimait, puis pleurait car il fallait recommencer, repartir. Puis avait aimé ce nouveau lieu et se sentait coupable d’avoir pleuré en quittant le dernier. Sa liberté le faisait vibrer.

     

    Il m’avoua que c’était un virus très puissant, sans demi-mesure. Le quotidien était ponctué de jours très heureux ou de jours très malheureux…

    On vivait rarement l’entre deux.

     

    La table d’en face écoutait la conversation. Ils se joignirent à nous.

     

    Jean, fier de son auditoire, nous conta que le plus grand ennemi de la liberté était l’amour. Réciproquement ils ne s’entendaient pas.

    La liberté l’abandonnait sans cesse et l’amour avait tendance à l’emprisonner.

     

    Puis en quelques mots il résuma ce que je n’arrivais pas à synthétiser depuis des années : Vagabond tu connaîtras plus longtemps l’amour de l’amitié, la joie des hommes qui partageront un bout de ton chemin. Tu ne prendras finalement que le bon et c’est ce qui te rendra si libre. Mais attention de ne pas trop souvent abandonner ou perdre l’amour au risque de ne jamais le retrouver.

     

    Il s’est éteint quelques mois plus tard là, où il avait aimé vivre ses derniers jours de sédentaire.

     

     

    *Le potager est un poêle à bois

    * Le journal  quotidien valaisan

     


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  • Escale en Occitanie
    En partant de Bordeaux, il s’était  juré arriver jusqu’à Sète en moins de 15 ans.
    Au XVIIème siècle, il n’était pas facile de se déplacer rapidement. De plus, une telle ambition de la part d’un canal s’emblait culotté.
    Il traversa le sud ouest en diagonale, passant d’étendues de plaines aux vallons du Gers.

    Il fit de très belles rencontres dont une : Garonne. Il l’avait observée de loin. Elle était grande, élancée, et paraissait si tendre. Il voulut la voir de plus près.

     

    En s’approchant, il rencontra la Colombette et l’interrogea. Celle-ci très indépendante et têtue, n’obéissait qu’à son maire. Elle lui indiqua la route du Capitol. Jean Jaurès écoutait aux portes et avait entendu la conversation. Amoureux incontesté de Garonne, il ne pu s’empêcher de se mettre en travers de son chemin. De justesse Canal l’évita, il put rejoindre Wilson. Celui-ci était vieux et fatigué, mais sa carousselle battait encore son plein. Il lui dit de couper l’Alsace Lorraine et qu’il s’y trouverait.

     

    Il vit au loin une lumière rougeoyante, c’était le Capitol. Une fois à ses pieds, la lumière l'aveugla, il s'écoula au hasard en direction du sud.

    Le long du chemin, le vent lui caressait doucement les flots, il portait les odeurs de Garonne.

    Il s’approcha doucement des rives, puis dévala la Daurade pour se jeter dans ses bras.

    Le pont Neuf observait la scène inquiet. Cyprien qui se trouvait à proximité, prit les choses en mains. Il réunit tout le monde place du Ravelin et sortit les boules, elles parleraient d’elles mêmes…

     

    Arnaud et Bernard m'expliquèrent que Garonne et le Canal du Midi tombèrent amoureux. Mais le St Pierre s'opposa à leur union.
    Garonne entra alors dans une terrible colère. Elle dévasta les ponts, les quais, les places, mais ne parvient pas à inonder Pont Neuf, elle se prenait au piège dans ses dégueuloirs.

     

    Canal prit la fuite afin de ne pas être arrêté, il dévala à toute vitesse le Languedoc, si vite, qu’il ne vit pas la mer Méditerranée. Il savait flotter, mais pas nager. Il se noya.

     

    Aubin, Etienne, Sernin et les  frères Jacobins se réunir et décidèrent de construire les plus beaux temples pour soulager la peine de Garonne.

     

    Mais celle-ci portait déjà, sans le savoir, l’œuvre de leur amour : Toulouse

     


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  • Où il fait bon aimer








    Les utopistes français la découvrir en 1885, dans un archipel du Pacifique Sud.
    Accessible uniquement en montgolfière elle est à ce jour gardée secrète de nos cartes.
    Et oui, c’est que sur cette île ne sont accueillis que ceux qui ont la ferme intention de passer leur existence à aimer.
    Sur l’’île des Gauchers, les humains s’aiment enfin sans crainte et ne font que cela. Toute idéologie qui viendrait à gâcher leur union est bannie. Leur société est basée sur la séduction et la passion uniquement.
    Le quotidien de ses habitants se résume à redoubler d’imagination pour surprendre leur partenaire. Du simple cadeau au comportement adultère tout est mis en œuvre pour rendre l’autre plus amoureux que jamais.

    Mais les Gauchers, trop intelligents pour s’arrêter au simple plaisir de l’amour, se sont également emparés d’une île voisine, bien plus petite. Là bas on apprend à écouter le silence et à s’interdire de parler. On y va en couple, les disputes et discussions y sont amusantes et grimaçantes.

     

    Dans cet Eldorado, les divergences politiques, économiques, sociales et culturelles ne peuvent entacher l’harmonie qui règne sur l’île.

     

    Outre le côté romancé de l’écrivain, il existe à ce jour bon nombre de nations et de tribus qui vivent encore de l’amour, sans transformer cela en une véritable épreuve.

     

    Alexandre Jardin l’a rejoint en 1993, l’île des Gauchers n’est pas une philosophie inaccessible.


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  • Un soupçon de gaieté







    Sa menotte agrippait habilement le riz, qu’il faisait danser au creux de sa paume pour en former une petite boule qu’il déposait dans sa bouche.
    Son corps si frêle supportait mal le poids de sa tête, ses jambes et ses bras étaient maculés de plaies, sa peau pelait et s’infectait. On l’avait mis à l’écart. Je m’approchais doucement de la planche de bois sur laquelle il était juché, mais sentis immédiatement sa gène, il me repoussa du regard. Il s’était lui-même isolé.A deux ans et demi, il avait conscience de son état physique et en avait honte.


    Cela faisait une semaine que Suman avait été interné au centre de nutrition, dans lequel je me portais volontaire.

    Ses parents l’avaient abandonné à Katmandou, aux bras de sa grand-mère, en espérant trouver du travail en Inde.

    Cette dernière était la seule à pouvoir l’approcher, personne ne méritait son attention. Il n’avait déjà plus goût à la vie ni même confiance en l’être humain. Son cours passé devait être terrible.

     

    Un jour, sa grand-mère dut s’absenter elle me confia sa garde. Il m’ignora je fis de même, le laissant à l’ombre d’un coin je m’assis à deux pas de là.

    Bercé par la chaleur ambiante et les odeurs de cumin qui s’échappaient de la cuisine, je m’assoupis. Je sentis soudain une petite main sur mon bras, qui tentait de gagner mon visage. Je continuais à fermer les yeux. Il se hissa sur mes jambes en tailleur et blottit sa tête contre ma poitrine en me caressant doucement la joue. Je n’avais jamais connu un si tendre réveil. J’ouvris les paupières, ses yeux pétillaient et sa bouche me souriait, enfin.

     

    Je lui consacrais mes journées. Il partait souvent dans de longs débats, exprimés en « onomatopées népalais », pour ne pas le vexer, j’acquiesçais. Mais il savait me piéger en me posant des questions le sourcil relevé ou s’indignant que je puisse approuver certain de ses propos ! Il riait et criait comme un enfant. Sa peau se régénérait peu à peu. Son regard qui exprimait autrefois celui d’un vieillard fatigué par la vie, était envahit de gaieté.

     

    Le jour tant redouté arriva. On m’accompagna jusqu’au portillon. Les larmes ne s’arrêtaient plus de couler, j’entendais les cris de Suman, qui retentissaient derrière moi. Je sortis et m’assis un instant à terre pour me calmer.

    Ses cris continuaient et se rapprochaient, il passa le portail et s’élança dans mes bras.

    Nous sommes restés là blottis, en sachant que jamais nous nous reverrions.

     

    Sa grand-mère mourut quelques mois après mon départ. Ses parents ne vinrent jamais le chercher, il se laissa mourir de faim et contracta bon nombre de maladies. Les infirmières ne réussirent pas à le raisonner, il avait prit sa décision.

     

    A quoi bon vivre, nous l’avions tous abandonné.


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  • Au sommet de la VieElle relève d’une main ses boucles dorées et écrase sa cigarette en regardant vers les sommets.
    Elle me demande si j’ai de l’expérience.. « Pas du tout ». Son amie népalaise, nous écoute discrètement, elle me sourit timidement, j’en profite pour lui glisser quelques banales politesses en népalais, Nicole s’étonne.
    La clochette de l’auberge retentie, mes premiers clients. Je sers et dessers trois assiettes tout en évitant de renverser « La soupe Maison » sur les genoux de papi.
    Une fondue et deux croutes au fromage (1) plus loin, le tour est joué, elle m’engage. Je vais avoir l’opportunité de découvrir son histoire, son aventure.

    Passionnée d’escalade puis d’alpinisme, elle devient en 1986 la première femme guide de haute montagne de l’Helvétie; de quoi piquer au vif ses hommes qui n'imaginaient pas voir un jour une femme devenir leur égal dans un milieux aussi hostil. Elle dompte le Mont Everest et le K2, ce dernier sans oxygène. Une déesse des sommets.

    L'ironie du sort a décidé, il y a une dizaine d’années, de la priver de ses jambes et de les remplacer par deux roues.

    Mais elle a déjoué ce bien mauvais tour, en reprenant la gérance d’une auberge d’altitude au Lac de Tanay (Suisse), accessible à pied uniquement.

     

    Amoureuse incontestée du Népal, elle décide après son accident, de construire un hôpital à Lukla (2840 m Népal), afin d’apporter aux hommes et aux femmes des hauts plateaux l’accès aux soins.


    Entre le Népal et la Suisse, elle s'est donné pour mission de faire grandir son projet; en multipliant les partenariats financiers. Elle est à présent un emblème de la Suisse et raconte son histoire avec simplicité.

     

    Quelques jours avant de quitter l’auberge, la pluie battait et les clients se faisaient rares. L’hiver approchait. J’étais inquiète. Elle me regarda silencieuse.

    D’un ton très direct et bien à elle, elle me dit que je n’avais pas le droit de remettre en question mes projets. Il fallait prendre et apprendre le maximum, afin d’être armé.

    Change de chemin, apprend à t’égarer pour savoir ce qui se passe à deux pas de là…

    C’est cela qui te permettra de rester debout. Si la vie vient à te prendre quelque chose tu seras peut-être assis mais tu auras galopé plus qu’un autre toute sa vie réunie, tu pourras alors te redresser et il ne tient qu’à toi de changer les choses.

     

    Qu’attendons-nous pour nous perdre?

     

     

    (1)Plat typique suisse :Tranches de pain grillé sur laquelle est fondue du gruyère suisse !


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